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NOTES D'INTENTION

Certaines professions nous intéressent plus que d'autres. Si je me suis emparé du métier de comédien assez tôt, il en est un autre qui m'a toujours fasciné, c'est celui de berger. Ces deux activités ont peu de points communs de prime abord mais il y a une valeur qu'ils partagent essentiellement à mon sens: la liberté. C'est pourquoi l'histoire de Christine Ribailly m'a tant touchée. Une bergère en prison? Comment est-ce possible ? Pourquoi est-elle incarcérée depuis quatre ans, alors qu'elle n'avait été condamnée qu'à deux mois fermes ? Quelle est cette "dangerosité" dont la justice et l'administration pénitentiaire se prévalent pour la garder entre  quatre murs ? Je me suis mis en relation avec Christine, j'ai lu les nombreuses lettres qu'elle envoie à son comité de soutien et elle m'a mis en contact avec d'autres détenu-e-s. Au fil de nos échanges, les quelques illusions que j'avais concernant la probité de notre système judiciaire et de son corollaire le système pénitentiaire se sont effondrées. Si l’espace carcéral est un lieu caché et fermé qui limite les possibilités d’expressions individuelles ou collectives, le théâtre permet encore d'ouvrir un espace illimité où la créativité et l’expression sont réputées « libres ». J'ai proposé à Christine Ribailly de travailler à l'écriture d'une pièce de théâtre. "Pisser dans l'herbe…" est né de notre collaboration intra et extra muros. Artistes et bergers peuvent-ils être de grands rêveurs ? Sans doute. Et c'est tant mieux. 

 

Philippe Giai-Miniet

En septembre 2015, j'étais en prison depuis près de 3 ans, quand j'ai reçu une lettre d'un inconnu. Ce théâtreux parigot (il râle quand je le définis comme ça alors j'en profite dans ce court texte!) se disait enthousiasmé par mes lettres publiées dans l'Envolée et autres sites militants anti-carcéraux et abolitionnistes. Il voulait en faire une pièce de théâtre et la monter.

J'étais un peu circonspecte, surtout, ce que je ne voulais pas, était de devenir une égérie, un porte-drapeau. Alors j'ai proposé à d'autres filles d'écrire aussi (ça n'a pas soulevé un grand enthousiasme, certes). Une correspondance importante s'est mise en place avec Philippe. En même temps qu'il écrivait "Pisser dans l'herbe…", il découvrait peu à peu la prison en écrivant à d'autres enfermés ou en s'impliquant dans des réseaux militants. Je corrigeais les textes au fur et à mesure pour limiter les erreurs techniques et l'approche trop "épique" de la lutte par rapport à la survie en prison. Au bout d'un an, le texte était finalisé et riche d'échanges divers. Bien que je ne connaisse rien à la mise en scène, Philippe et Marie Paule ont continué à me raconter leur travail, leurs idées… et je continuais à les commenter.

Maintenant la pièce est montée. Je ne peux pas la voir. je ne sais pas quand je le pourrais. Mais elle est le fruit de collaborations multiples entre taulard(e)s et/ou artistes. J'espère qu'elle permettra des débats et des actions pour qu'un jour CRÈVE LA TAULE!

                                                                                                                                                                                            Christine Ribailly

Lorsque Philippe Giai-Miniet me fait part de son projet de donner corps à des correspondances avec des détenus, je découvre une autre facette du monde carcéral.  Ces échanges épistolaires montrent la volonté de quelques détenu(e)s qui par connaissance de la loi et de leurs droits, refusent de se laisser malmener, maltraiter par la direction pénitentiaire. La réaction à ces revendications entraine systématiquement des peines de mitard et des allongements de peines. A l’image de notre  personnage Camille, bergère, incarcérée pour une peine de deux mois, qui se retrouve quatre ans plus tard toujours entre les murs d’une prison pour des incidents relatifs aux conditions d’incarcération. Camille relève tout manquement aux procédures et interpelle le tribunal administratif à la moindre entorse à la loi. Camille agace L'administration pénitentiaire et les gardiens doivent faire régner le calme, sans revendications et sans soulèvements. Alors on la transfère encore et encore, ils se la refilent sans se demander ce qu’elle fait là et le bien fondé de ses interrogations.  Loin d’être un agneau au milieu des loups, elle descend petit à petit dans la violence et se retrouve seule au milieu d’une incompréhension générale. De ses refus à donner ses empreintes à la volonté des matons de la faire plier par outrance de fouilles à nue, elle essaie de se maintenir en vie, de rester fidèle à elle-même. L’isolement, l’inquiétude, l’ennui et la peur durcissent les êtres humains. La vie collective n’est pas sans heurt, du profit des unes au vol des autres, la solidarité n’est qu’un leurre car en prison on est seule, surtout seule ! 

Camille est un prénom générique. Le personnage concentre plusieurs parcours de détenus, hommes et femmes : un prénom mixte, une universalité autour d’une quête de respect et de liberté.  Un seul  personnage féminin joué par un homme ; le comédien s’empare de l’histoire fictive de Camille, bergère emprisonnée, en lui prêtant sa violence et sa naïveté. Tel un enfant qui découvre et se révolte face à une injustice souvent primaire. Des lettres parsemées pour un carré d’herbe verte auquel Camille se raccroche. Une solitude en rébellion qui petit à petit va perdre pied et laisser place à une violence sans possible retour… 

 

                                                                                                              Marie Paule Guillet

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